Pourquoi écrire, pourquoi vouloir être édité ?
Je pense que ces deux questions sont fondamentales quant à notre sujet. Je pense aussi que si, pour beaucoup, ces deux phénomènes sont indissociables, l'écriture et l'édition peuvent en réalité être considérés comme deux démarches très différentes.
Pourquoi on écrit ? Tu le sais toi ? Moi ce que je sais, c'est que j'ai commencé à six ans, lorsque mon maître d'école m'a enseigné les premiers trucs. Mon premier roman était une short story sans titre, l'histoire de deux soldats américains partant tester les performances d'un nouveau modèle d'hélicoptère par delà les eaux territoriales de l'océan Atlantique. A cours de carburant, nos deux gaillards devaient atterrir en catastrophe dans une jungle peuplée de tigres et de sauvages. Bien sûr, les tigres étaient l'affaire du personnage principal et les sauvages, l'affaire de son copilote chauffant dans leur marmite. Un pitch d'enfant, pour un roman de deux pages.
J'ai cessé d'écrire après quelques carnets de voyages anglais et puis ça m'a reprit vers quinze ans. Le collège s'achevait et les cours de maths m'emmerdaient. Je ne prenais plaisir qu'aux sujets de rédactions que me proposaient gentiment Monsieur Parcou en salle deux cent et quelques. Dans les autres classes et dans les étages supérieurs, je faisais comme tous les autres adolescents, j'écrivais de la poésie de comptoir sans en n'avoir jamais fréquenté.
Je crois pouvoir dire que j'écrivais pour mon plaisir mais également pour ma satisfaction. Il est toujours agréable d'avoir quelques qualités, quitte à devoir travailler un peu pour se les révéler.
Plus tard, au lycée, je n'écrivais plus que lorsque j'avais une fille à mes côtés. Cette activité pseudo-subversive me mettait en valeur, je n'écoutais pas nos professeurs. J'aimais alors commencer mes textes par des banalités confondantes "Le ciel était bleu et le soleil brillait" cela faisait rire et préparait mieux le contraste stylistique qu'amorçait la suite. Oui, j'écrivais pour les mêmes raisons que tout le monde, c'était un moyen d'expression. Les publicitaires écrivent pour cela, ma grand mère m'écrit pour cela, même nos boulangers nous écrivent pour cela, sur des panneaux avec le prix des pains aux raisins. Mais contrairement aux leurs, mon écriture n'était pas franche, elle n'était qu'un médium abruti mêlant malhabilement audace et timidité.
Je pris un virage un peu tardif vers vingt ou vingt-et-un an. Je sortais d'une histoire d'amour éprouvante et j'écoutais et faisais beaucoup de musique. J'écrivais donc principalement des textes de chansons, toujours quelques short stories également, puis un premier roman, une oeuvre inachevée. Les chansons exorcisaient certaines choses, le reste me conférait une posture niaise et stupide de poète à peine maudit.
Mon premier roman lisible, confortable, et digne d'intérêt dans un wagon de métro, j'ai commencé à l'écrire il y a un peu moins d'un an. Cette fois-ci je m'adressais au monde et aux éditeurs. L'intrigue naissait d'une idée que j'estimais vendeuse et malicieuse et le texte comportait des idées que je voulais sociales bien que peu sociables. J'étais donc, et je le crois toujours, enfin mûr pour l'édition.
Me voici donc aujourd'hui officiellement aspirant à l'édition. Mon premier roman achevé puis envoyé par la poste l'a été en septembre dernier. Alors pourquoi vouloir en arriver là ? Pourquoi vouloir éditer ce tas de papier qui aurait tout aussi bien pu rester coincé entre les deux parties de mon netbook ?
Pour baiser, tout naturellement. On veut tous publier pour baiser plus et mieux. On vise tous les grands éditeurs et les têtes de gondoles de nos fnac pour cette simple raison. Ce n'est pas parmi les sept cent copies écoulées que l'on cherchera nos corps emplis de désir, non, notre plan sera autrement plus simple, et sans salons du livres où les hormones des autres effraient. On en parlera autour de soi et le désir naitra très banalement. Comme Grenouille s'aspergeant de son meilleur parfum, l'auteur publié accèdera au statut, semi-divin au vingt-et-unième siècle, d'artiste officiel, dès qu'achetable avec de vrais billets ; les filles s'imaginant rapidement les soirées mondaines, l'argent, le champagne, les plateaux de télévision et les ballades en F430 tous les mois de mai sur la croisette. De ce point de vue, un livre publié n'apparait alors comme rien d'autre que comme une invitation au tourisme sexuel intra-muros.
Mais il n'y a pas que ça, il y a aussi la perte de l'enfance. A vingt-cinq ans le temps de l'écoute est révolu, on est plus le centre d'attention de personne. Si on fait plus de cinq phrases de suite, on est immédiatement considéré comme pompeux et bavard. Pourtant, l'envie de conserver sa faculté de voix demeure. Le livre s'impose alors en solution parfaite. Deux cent pages en plein visage et l'impossibilité d'une réplique. Puis il y a aussi les convictions, cette croyance certaine que l'on détient des vérités sur le monde et qu'on peut même l'aider à aller mieux en les exposant, en les extirpant de leurs souterrains.
L'écriture serait donc un besoin d'aller vers soi et la publication un besoin d'aller vers les autres. Où comment s'aimer, puis se faire aimer. Tout ces prétentieuses bagatelles ne seraient qu'un évident sport amoureux, comme le badminton, la pétanque, ou le rugby.
Je n'ai pas aujourd'hui l'envie de croire que mon premier roman puisse être une oeuvre universelle prête à transcender le monde tout en le sublimant. En revanche, j'ai envie de croire en sa possibilité d'être un produit culturel convenable, commercialisable et vendeur. Alors, messieurs les éditeurs qui ne passerez jamais pas ici, achetez-le, vendez-moi, achetez-moi et vendez-le.